- Pascaline Hamon
- Pages écrites
Les vieux désirs
... Et par un étrange phénomène, qui semble avoir réformé les liaisons les plus profondes et les plus secrètes de notre psychisme comme une conversion religieuse renouvelle l’intériorité au point de changer les plaisirs d’avant en dégoût, nous constatons combien ces vieux désirs, à présent que nous pouvons les toucher du doigt, nous semblent désormais vains et nous remplissent d’ennui. C'est cette inadéquations de nos désirs passés qui continuent de nous hanter et de notre présent qui en révèle violemment le caractère anachronique qui nous fait prendre conscience, brusquement, de nos évolutions. Que serait une vie gourvernée par la permanence de nos désirs ?
Ces vieux désir, devant lesquels, il y a quelques années, nous nous serions mis à genoux, et qui ont nourri des heures entières de notre vie, au point d'en constituer la toile de fond inconsciente nous apparaissent à présent comme étrangers à nous-même, comme s’ils avaient émergé dans un rêve lointain et s'étaient dissipés dans une vie parallèle que nous regardons avec étonnement - ces vieux désirs, semblables à de vieux vêtement que l’on conserve en souvenir d’une époque lointaine dans l'espoir de porter à nouveau et qu’on déplie un jour, en constatant que le corps n’y entre plus et dont les couleurs passées de mode agressent l’œil par leur incongruité.
Quelques années auparavant, tout notre esprit était tourné vers ces seuls buts, qui nous apparaissaient comme la réalisation logique et nécessaire de nous-mêmes. Mais à présent, étonnés de la rapidité avec laquelle se sont déliées, en quelques mois, ces connexions qui nous entouraient si étroitement d’un faisceau éclairant notre route, nous reculons devant ces opportunités si longtemps pourchassées. D’autres voies se sont imposées dans un murmure feutré et imperceptible, radicalement éloignées de tout ce que nous avons poursuivi jusqu’alors, rendant familier ce qui autrefois nous apparaissait incompréhensible. Et nous ne voyons dans nos habitudes et notre quotidien, au moment de faire ce non-choix, qu’une plénitude renversant l’ordre du désir : le manque n’étant plus dans notre vie quotidienne, mais dans la projection des contraintes à venir qu'imposerait ce boulversement.
La phase d’enthousiasme est passée ; la seule nécessité d'accomplir les quelques pas qui nous séparent du but soulèvent une pensanteur indicible, et l'on aimerait que le choix appelé par ce vieux désir, le lourd dilemme qu'il vient imposer dans notre présent, n'existe pas ou du moins, pas à ce moment-là. Ce bout de la "vieille vie", que l'on n'a pas vu vieillir et qui apparaît éloignée, qui semble presque celle de quelqu'un d'autre que nous, suscite par intermittence quelque bouffées d'enthousiasme, rallume pour quelques instant un feu, qui s'éteint tout aussi vite, sitôt que se présente à nous la conscience que l'image que l'on se fait de cette réalisation, de ce vieux désir, n’existe en réalité que dans notre imagination, et que c'est pour cela-même qu'il nous apparaît comme désirable.
Il nous faut trancher, et nous sentons bien que la résolution nous prendrons, en faisant advenir ce que nous avonc imaginé, comporte avec elle le risque d’un acculement irrémédiable à la médiocrité. Tant que ce désir voletait devant nos yeux, inaccessible, ce que nous percevions comme la platitude du réel était comme compensée par l’irritante certitude qu’il existait ailleurs, la possibilité de quelque chose de mieux dont les portes nous semblaient inexplicablement et injustement fermées. Mais désormais, nous envisageons bien plus clairementque cette situation à laquelle nous étions prêts à tant sacrifier, peut à son tour se révéler décevante, détruisant jusqu'à cette consolation même.